Vendredi 14 décembre, 15h30. Nous avons rendez-vous avec le chorégraphe lyonnais Abou Lagraa, au Grand Théâtre de Provence, où le danseur prépare son nouveau spectacle "El Djoudour”, une première mondiale qui sera présentée du 16 au 19 janvier pour l’ouverture de Marseille Provence 2013, capitale européenne de la Culture.
Il a été choisi pour cette prestigieuse manifestation qui, chaque année, met en valeur une ville européenne. Après Guimaraes au Portugal et Maribor en Estonie, c’est donc à Marseille que vont être organisés 400 événements, attirant 2 millions de visiteurs supplémentaires dans cette région. Et Abou Lagraa est fier, car il n’est pas Marseillais. Mais ses origines sont là, au bord de la Méditerranée. Né à Annonay en Ardèche de parents algériens, il a débuté la danse à l’âge de 16 ans, avant d’entrer au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon. Après des débuts remarqués auprès de Ruy Horta, puis Robert Poole, Denis Pelissard et Lionel Hoche, il fonde sa propre compagnie La Baraka en 1997 à Lyon. "Je suis retourné en Algérie dans les années 2000, quand les choses se sont calmées. Et avec ma femme, Nawal Aït Benalla-Lagraa, on a créé le Ballet contemporain d’Alger en 2010”, explique-t-il. "Danseur chorégraphe occidental, français, maghrébin” comme il se définit lui-même, Abou Lagraa a fait de sa double culture une véritable force. "Mes parents m’envoyaient au catéchisme le mercredi, parce qu’ils voulaient que j’apprenne autre chose. C’était une ouverture incroyable. Ma mère n’a jamais porté le voile ! Pour moi, l’islam, c’est l’ouverture sur les autres”, raconte-t-il.
On le retrouve donc sur le plateau central du grand Théâtre de Provence. C’est dans cette magnifique salle conçue par l’architecte italien Vittorio Gregotti, que les répétitions ont lieu depuis novembre. Des répétitions ouvertes au public tous les jeudis, pendant une heure. Mais aujourd’hui, la salle de 1 577 places est vide car il s’agit d’une répétition à huis clos. Sur scène, les 14 danseurs de la compagnie lyonnaise La Baraka et du Ballet contemporain d’Alger, réunis par Lagraa pour composer cette représentation, sont dirigés d’une main de maître. Car Abou Lagraa est plus qu’un metteur en scène, c’est aussi un formidable danseur. Au cours de cette répétition, il en fait une nouvelle fois la démonstration, en livrant son corps sans retenue. Ses danseurs, âgés entre 21 et 34 ans, n’ont qu’à se servir dans cette matière débordante de créativité. Après des années de danse physique et torturée, son corps semble ainsi épargné par la douleur.
Mais ce chorégraphe au sang chaud, qui tourne en rond sur le plateau comme un poisson dans un bocal, sait aussi marquer une certaine distance dans sa façon de travailler. Et même une certaine froideur. Par exemple, lorsqu’il apprend une figure à une danseuse, en anglais : "Move your pelvis. When I say go on, go on !” (Bouge ton bassin. Quand je te dis d’y aller, vas-y, bouge !”) Il mêle la parole aux gestes. La danseuse est à bout de souffle. Après quelques secondes de répit, il reprend : "Your pelvis is your motor ! So move it, again and again!”. La différence est peut-être imperceptible pour le public, mais lui, le perfectionniste, ne lâche jamais rien, jusqu’à obtenir le geste parfait. Car Abou Lagraa, c’est aussi un style : des mouvements incessants des mains et des avant-bras, un bassin déjanté qui bouge dans tous les sens et des pieds ancrés dans le sol, presque enracinés.
Toujours directif, mais poli. Intransigeant sans doute, mais fin pédagogue. "C’est bien. Continuez comme ça. Je veux voir l’énergie et vos corps en action”, dit-il. Un danseur du ballet d’Alger traduit à ses camarades, en arabe, quand lui, ne le fait pas directement.
A 16 h, il envoie toute sa troupe faire une pause. Souriant mais un peu tendu, il s’avance dans les travées du théâtre. La main est chaleureuse, le regard sincère. "Bonjour, bienvenue. Vous me laissez 5 minutes pour fumer une clope, et on se voit pour l’interview ?” Abou Lagraa se prête au jeu des questions-réponses sans langue de bois. Et plaisante volontiers : "N’écrivez pas ça, ma mère lit le français, elle pourrait me tuer si elle le savait !” A 42 ans, Abou Lagraa est pourtant un grand garçon, reconnu dans le monde entier. Mais il a su rester humble et accessible. Et il parle de sa passion avec beaucoup de recul. "Je ne comprends pas pourquoi ce mot "contemporain” fait peur, alors qu’on parle du présent, de nos vies, de l’art d’aujourd’hui”, s’interroge-t-il.
Trente minutes plus tard, il est l’heure de reprendre les répétitions. En se levant, il observe la scène, émerveillé : "Regardez, ce sont les Algériens les premiers revenus sur scène...” Une remarque simple, pour démonter les préjugés, une fois de plus.
A 18 h, c’est le grand test. Après des semaines de répétition, l’équipe artistique lance le "filage”. C’est donc la première fois que le spectacle va être joué en entier. Abou Lagraa descend de la scène et s’installe dans un siège de ce théâtre, où se jouera la première mondiale, comme un "simple” spectateur. Mag2 Lyon sera l’autre spectateur privilégié. Les artistes sont en place. La musique monte. La première scène s’ouvre sur une rangée de femmes en burnous, des capes blanches avec des capuches. La scénographie est épurée, mais on imagine déjà le décor final, avec la terre qui représente les racines, et aussi l’eau, élément fondamental dans la culture arabo-musulmane. Dans un jeu de miroirs invisibles, les danseurs se heurtent sans jamais se toucher. Puis les solos et les duos s’enchaînent. La tension ne retombe jamais. Les corps sont tout à tour désirés, repoussés, mutilés. Les corps mis sous tension permanente, comme possédés. On entend les souffles de ces corps sensuels, mais en souffrance. Puis Lagraa parvient à rendre les femmes fortes et à briser les idées reçues. Sa performance est aussi de mettre ensemble des danseurs expérimentés et des moins expérimentés, des femmes et des hommes, des gros et des maigres. Mais au final, ils sont tous au même niveau car il a su tirer le meilleur de ces individus pour créer une œuvre collective. La performance physique est parfois époustouflante. La sensualité est toujours présente. Les tableaux s’enchaînent. Après des mois de répétitions, les gestes et les mouvements sont maîtrisés. Evidemment, tout n’est pas parfait. Mais l’essentiel est là, le message est bien passé. Rien ne sert d’opposer le corps et la pensée. Rien ne sert d’opposer les femmes et les hommes. Rien ne sert d’opposer les deux rives de la Méditerranée, l’Occident et le monde musulman. Au bout d’1h15, le chorégraphe arrête le spectacle. Un beau moment de réconciliation.
Le spectacle "El Djoudour” sera présenté les 8 et 9 juillet aux Nuits de Fourvière à Lyon
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